• Avis sur le livre d'Alessandro Baricco, City,

    Alessandro Baricco a fondé en 1994 une école sur les techniques de narration en Italie où il donne son enseignement. Dans son roman City il expérimente avec bonheur de nouvelles approches narratives. Cela donne un roman découpé en tranches comme un salami italien. On s’y perd un peu, on s’y retrouve toujours. C’est dans les dialogues que Baricco révèle tout son génie. Ils sont drôles et tristes, cruels ou décalés et les silences prennent corps. Cet écrivain a récemment eu un succès de librairie avec la publication de Soie et de Châteaux de la colère.

     

    Avis sur le livre d'Alessandro Baricco, City,City est une ville qui n’existe pas ou plutôt c’est toutes les villes à la fois, la vôtre, la mienne, avec ses quartiers, son salon de coiffure qui coupe les cheveux gratis le jeudi, son terrain de foot et son université. C’est dans cette ville que vit Gould l’enfant surdoué à qui on prédit le prix Nobel. C’est un petit garçon seul, très seul. Il n’a que deux amis, Poomerang le muet et Diesel le géant. Le père militaire et la mère en clinique psychiatrique sont ailleurs. La veille de ses treize ans à l’occasion d’un sondage téléphonique il tombe sur Shatzy une rêveuse comme lui qui vient d’être licenciée. Justement il a besoin d’une gouvernante pour remplacer la muette imaginaire qui est partie avec un représentant en montres.

    Gould et Shatzy se protègent d’un monde qui les angoisse en se réfugiant dans leurs propres univers imaginaires. Gould s’invente des combats de boxe qu’il commente voix haute à chaque fois qu’un besoin urgent l’appelle dans les toilettes. Il y a également le football dans la vie de Gould. Il s’entraîne à deviner sur les photos des équipes qui joue à quel poste, car selon lui à chaque poste correspond un profil morphologique et psychologique précis. Son pourcentage d’erreur est de 28%. Parfois il observe les matchs en compagnie du professeur Taltomar, ancien arbitre, qui possède quelques certitudes : "Une main dans la surface est toujours volontaire, le hors-jeu n’est jamais douteux, les femmes sont toutes des putains". Les enfants ont besoin de certitudes.

    Shatzy, elle, poursuit son western qu’elle a commencé à l’âge de 6 ans. Ce western c’est sa grande affaire, "la seule chose qui lui tienne vraiment a cœur dans la vie". On y retrouve les personnages de son enfance comme les jumelles du Salon de la Maison Idéale. Tout y est dans son western : les saloons, le whisky et la puanteur. "Transpiration, alcool, cheval, dents cariées, pisse et savon à barbe". C’est important la puanteur.

    Ce livre est comme des poupées russes avec des histoires dans les histoires qui se mêlent les unes aux autres, imaginaires ou réelles et qui progressent tout au long du livre pour aboutir à l’épilogue satirique et déroutant. Cela donne une mosaïque assez disparate dont le découpage particulier pourra dérouter plus d’un. Baricco seul possède les clés de ce puzzle dont les pièces s’assemblent contre toute attente avec logique.

    City, ici ou ailleurs, on a tous un western à continuer.

    Alessandro Baricco, City, Folio n° 3571, traduit de l’italien par Françoise Brun, 487 p.