• Critique du livre : Les Hauts de Moscou, Vassili Axionov

     

    Dans Paysage de papiers (1983), Axionov intitulait l'un de ses chapitres « Le Labyrinthe de Moscou ». Le mot désignait un bar de nuit du nouvel Arbat : fausse piste ou germe lointain des Hauts de Moscou ? Toujours est-il que l'auteur revient ici avec son énergie et sa fantaisie habituelles aux thèmes qui lui sont chers et qui hantent sa génération : Staline, approché de façon iconoclaste dans Une saga moscovite ; le face-à-face tortueux du dictateur et de l'artiste ( « destructeur du genre humain, quel besoin as-tu eu d'un poète ? ») ; les mobiles de la soumission, qui résument l'état d'esprit de tous ceux qui ont cru par millions que les arrestations arbitraires étaient de simples erreurs : « je ne peux pas croire que tant de millions d'hommes, y compris mon père, aient été sacrifiés sans raison ». On retrouve surtout la verve coutumière d'Axionov, son humour, le goût de la mystification, l'invention burlesque à partir des détails cocasses ou sinistres qui forment le cadre réel de la fiction. Les lecteurs russes captent sûrement mieux que d'autres les clins d'oeil, les allusions historiques ou littéraires qui émaillent le récit sans ralentir l'allure : les Trois gros d'Olecha et les trois oranges de Prokofiev (p. 45), les patronymes façon Gogol (Moki et Naki, p. 52), la paupière clignotante (tic ou vrai clin d'oeil, p. 70) rappelant celle du juge de Crime et Châtiment... Mais le texte offert par Lily Denis, fidèle traductrice d'Axionov, fait bien sentir à quiconque le jeu avec la langue et l'ivresse qui naît de « la boisson domestique des mots », même quand il s'agit d'évoquer des drames.


    L'auteur lui-même se faufile dans son récit sous le nom d'Untel Untelovitch Untelovski, alias Vassili Voljski (de la Volga) ou Kostian Merkoulov : il est le «
    môme des abords du goulag », le carabin chassé de la fac de Kazan pour avoir dissimulé « le sort difficile » de ses parents (hypocrite litote pour dire qu'ils furent victimes de la répression), le fou de jazz, l'ami des «zazous » côtoyant la jeunesse dorée, la « mauvaise graine » en rupture avec la norme soviétique. L'époque du socialisme triomphant après la seconde guerre mondiale et celle du communisme tout court sont à présent révolues : pourquoi l'auteur vient-il encore rôder autour de ce qu'il a tant détesté ? Parce que, glisse-t-il en passant, « c'est ma jeunesse qui a traîné ici, qui a utilisé tous les téléphones du coin, ce sont nos rêveuses jeunes filles qui ont grandi dans ces maisons. Et le mépris se mue soudain en tendresse ».

     

     

    Les Hauts de Moscou, Vassili Axionov

     

    Moskva-kva-kva, traduit du russe par Lily Denis
    Actes Sud, 2007