-
Melnitz de Charles Lewinsky
Il y a d’abord la plume. Surprenante, savoureuse, ponctuée de yiddish, ce qui lui prête une cadence tout à fait particulière. Ensuite, les personnages quasi Balzaciens de la tribu Meijer : Salomon, le marchand de bestiaux, un honnête homme dans sa redingote noire, sa femme Golda, dont le tour de taille a doublé depuis ses noces, et leurs deux filles, Mimi, la gracieuse, et Hannele, plus rebelle. Nous sommes à Endigen, en 1871. Un des seuls villages helvètes où les Juifs ont encore le droit de vivre. Lors d’une veillée de deuil, un curieux cousin débarque. Janik. Il charme Mimi, mais finira par épouser Hannele, tandis que Mimi se mariera avec le fils Pomeranz, très amoureux d’elle. Voilà la dynastie Meijer en marche. Direction Baden et Zurich.
Surtout, il y a l’oncle Melnitz. L’aïeul, décédé depuis belle lurette, et ô combien vivant. A chaque événement familial, Melnitz revient. Fantôme drapé de pessimisme, « exhalant une odeur de poussière humide et de terre froide », il surgit tel la statue du Commandeur pour sermonner « ses » Meijer, les mettre devant leurs faiblesses, leurs erreurs, leurs consciences. Il leur souffle : « Un juif reste un juif. Peu importe combien de fois il se fait baptiser », tente de les mettre en garde sur la noirceur du destin qui les attend. Même dans un petit pays « neutre ».
Melnitz sera notre guide le long de cet époustouflant roman fleuve qui suit cinq générations de Meijer, jusqu’à la seconde guerre mondiale. La saga familiale –les amours, les rancœurs, les victoires, les revers-- est portée par le souffle puissant de l’Histoire et la chronique méconnue de la communauté juive de Suisse. Ce roman, traduit pour la première fois en Français, connait un succès retentissant dans tous les pays où il est publié. Mais le dramaturge zurichois Charles Lewinsky se défend d’avoir écrit un roman juif. Plutôt un roman Suisse.