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Une ombre sans doute de Michel Quint
Des énoncés courts, lapidaires, comme jetés sur la page. Une verve bien trempée, à la va comme je te pousse. Pas de doute, l’auteur est bien Michel Quint. Le narrateur ? "Une ombre, sans doute" ! Un fils voyageur - exilé volontaire - rentré au bercail pour régler la succession de ses parents, et finalement plongé en pleine reconstruction identitaire : un spectre en quête de fantômes. George (sans s) a la mémoire filante. Il parcourt les labyrinthes du passé, s’égare dans les faux-semblants, les mensonges et les souvenirs tronqués.
Il recompose la vie de Rob, l’espion anglais planqué dans la ferme parentale, où sa mère tient un atelier de couture. Puis celle de Rainer, le "boche", presque bourreau malgré lui. Les amours, les jalousies, l’admiration, la trahison. Ce sont les drames les plus troubles qui se jouent dans ce passé recomposé. Et c’est toute la Seconde Guerre qui renaît de ses cendres. Résistance et collaboration, incarnations manichéistes de circonstance. Michel Quint ressuscite les rancoeurs sans jeter d’huile sur le feu. Il ne dénonce pas, il raconte, peint au couteau ces portraits en chair et en failles d’hommes et de femmes voilés de mystère.
Le phrasé elliptique, le souffle court, brisé par les souvenirs qui affleurent et se gorgent de détails imaginés anime un texte d’une incroyable densité. Quint se joue de la langue à mesure qu’il la délie, la fait gouailleuse, tendue, émotive. Il tourne et détourne les mots, à coups de rimes et de sentences audacieuses. Son sens du détail, tant linguistique que descriptif, renforce encore cette musicalité. Le foutoir de fanfreluches, de strass et de dentelles des ateliers de couture s’agite au staccato des machines à coudre. ‘Une ombre, sans doute’ vibre littéralement, rebondit de révélations en tromperies. Captivante, magistralement menée, la conquête mnémonique du narrateur nous balade dans une histoire retorse, complexe, peuplée des ombres qui hantent la mémoire collective.Une ombre sans doute de Michel Quint, Editeur : Joëlle Losfeld 2008